Plutôt que de me laisser aller à expliquer pourquoi je suis plutôt très content de ce résultat de premier tour, une réflexion un peu décalée qui me vient à la considération de la carte des résultats
sur le site du Monde:
Où François Bayrou a-t-il dépassé les 20% de suffrages?
- en Bretagne,
- en Alsace,
- en Aquitaine (sud), y compris le pays basque,
- dans le Massif Central,
- en Savoie,
- et dans la banlieue sud et ouest de Paris.
Soit, à l'exception de la dernière et avec une réserve pour la Savoie à cause de mon ignorance de la situation réelle du franco-provençal aujourd'hui, des régions où les langues minoritaires nationales restent vivantes (le sud du Massif Central, le Rouergue en particulier, est considéré comme la "réserve indienne" de l'occitan). Les langues minoritaires historiques principales, à l'exception notable du corse et du catalan (cf. infra), sont représentées par ces bastions bayrouistes: le breton, l'alsacien, le basque, l'occitan (que les bourriques micro-chauvines locales veuillent bien réaliser enfin que le niçart est un dialecte occitan), le franco-provençal (avec la réserve supra), le gascon (si on le distingue de l'occitan).
Cette réalité géographique du vote Bayrou est à la fois logique et surprenante. Logique, parce que François Bayrou est le seul des grands candidats à s'être démarqué de la dérive identitaire nationaliste-jacobine qui a marqué le gras de la campagne, le seul à
s'être clairement prononcé pour la ratification de la charte européenne des langues minoritaires (cf. l
a prise de position de Ben). Surprenante par la coïncidence du résultat avec une prise de position qui n'a pas eu beaucoup d'écho et qui n'a pas semblé faire partie des enjeux de la campagne.
Les exceptions à ce tableau méritent considération (et préoccupation). Par commodité je les liste par langues/dialectes:
- Le provençal (sur l'occitan en général cf. infra): dans le sud-est et dans le midi méditerranéen, François Bayrou fait globalement des résultats inférieurs à son score national. Néanmoins, à l'exception du Vaucluse, notamment dans les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-Maritimes, Bayrou fait mieux que Le Pen.
- Le corse: FB, qui y a défendu sa position sur les langues régionales, est dépassé par Jean-Marie Le Pen dans les 2 départements corses. La comparaison avec la situation de la Bretagne et celle de l'Alsace pose question. Hypothèse: la position de FB représente un modèle non jacobin d'intégration nationale inaudible pour la Corse dans sa situation actuelle.
- Le catalan: dans les Pyrénées-Orientales, Jean-Marie Le Pen dépasse François Bayrou d'une courte tête.
- Les autres exceptions sont moins nettes: le luxembourgeois, parlé dans le nord de la Moselle, où, sur l'ensemble du département, FB fait un score légèrement supérieur à son score national, et le flamand, dont je ne sais pas s'il est encore vivant dans la frange nord des départements du Nord et du Pas-de-Calais.
Sur l'occitan dans son ensemble: avant l'intégration des régions occitanophones, la France n'était que l'Ile-de-France, c'est-à-dire que la réalité occitane est essentielle à l'identité de la France. En d'autres termes, amputée de la Bretagne, de l'Alsace ou de la Corse, la France serait amoindrie, défigurée, blessée mais elle resterait la France, sans l'Occitanie (les régions originairement occitanophones) la France serait un autre pays. De ce fait la réalité occitane fait depuis toujours l'objet d'une dénégation essentielle qui passe en particulier par la réduction de la réalité linguitique occitane à sa réalité dialectale (péjorativée par l'appellation de "patois"). Je ne sais que Michel Rocard, parmi nos hommes politiques, pour avoir un matin dit la réalité dans sa nudité: que l'identité nationale française ne pouvait qu'être problématique et fragile parce qu'elle se fondait sur la fusion, déniée, de deux "nations" foncièrement distinctes (je n'ai malheureusement pas le mot à mot). Même François Bayrou parle de béarnais et évite le mot "occitan" (cf. par exemple le début du clip ci-dessus où il est évident qu'il a l'occitan en tête).
Aujourd'hui l'occitan survit, autrement que sous forme de traces (accent, emprunts lexicaux), selon deux modalités:
- la continuation, toujours diminuée, des pratiques vernaculaire, dans des milieux ruraux à l'écart des grands axes de communication,
- le réinvestissement, éventuellement par l'étude, par des couches jeunes, urbaines et éduquées (avec des variantes dégénératives "identitaires").
Sur l'aire occitane, ces deux modalités sont profondément disjointes et la répartition du vote Bayrou reflète la première exclusivement, la seconde étant généralement appuyée à une mobilisation politique radicale (alter-mondialiste ou extrême-droite pour ses pénibles variantes dégénératives "identitaires").
MàJ:
Sur le site du Monde (toujours) une analyse de la situation géographique par Pascal Perrineau. Sa granularité est moins fine que celle que j'utilise ici puisque qu'il prend le niveau des régions. Ses remarques à propos des régions où FB fait ses meilleurs scores: régions de tradition centriste et démo-chrétienne, ce qui n'est pas forcément contradictoire avec les hypothèses, moins assurées, que je risque ici.