Etre indécis, ce n'est pas forcément "ne pas savoir ce qu'on veut". Les enjeux de la présente campagne et les incertitudes sur la réalité des politiques que mèneraient les candidats après leur élection sont assez importants pour qu'il soit raisonnable, à moins d'être déjà engagé dans un combat politique identifié avec l'un ou l'autre des candidats, de ne pas se décider trop tôt. C'est que le déroulement de la campagne peut encore offrir des occasions de mieux imaginer les éventuelles politiques futures. Ainsi il me semble que, peut-être un peu enivré par le succès de sa campagne jusqu'à présent et son tout frais passage de la barre des 20%, François Bayrou, dont la campagne me paraissait jusqu'ici à peu près impeccable, a fait je crois son premier faux pas en se prononçant pour la création d'un "grand parti démocrate".
On lui faisait un mauvais procès, amha, lorsqu'on soulignait son appartenance à la droite. Le projet de stratégie politique qu'il avait exposé, en particulier lors de son émission sur France 2, était clair: il faut faire travailler ensemble des hommes qui par-delà ce qu'il appelle le "mur de verre" partagent la conviction qu'un certain nombres d'actions sont à entreprendre d'urgence, sans les appeler pour autant à se renier, sans les appeler à renoncer à ce qu'il a appelé leurs "valeurs". En d'autres termes les circonstances présentes doivent amener à travailler ensemble des hommes qui en d'autres circonstances pourraient s'opposer. Et lorsqu'on lui opposait le bi-partisme de nos institutions, FB répondait, de façon assez convaincante, m'a-t-il semblé, par la dynamique présidentielle des institutions de la 5e république (qui avait manqué à Pierre Mendès-France). Cette logique correspond assez bien à l'embarras d'une partie de l'électorat de gauche, particulièrement socialiste, résultat de l'escamotage des conséquences du référendum européen, ceux qui ont voté oui et ceux qui ont voté non sans voter pour un repli national, ceux-là éprouvent quelque répugnance à voter pour ou avec la gauche national-étatiste, Emmanuelli ou Mélanchon au PS, JP Chevènement, au-dehors et plus tard MG Buffet... Contrairement aux analyses baroques de Laurent Joffrin, je suppose que c'est parmi eux que se recrutent la plupart des "bayrouistes de gauche". Ce vote Bayrou est un vote qui se justifie "dans les circonstances présentes", il ne suppose pas la conviction que tout d'un coup la division entre gauche et droite ait perdu toute pertinence théorique et pratique, il ne suppose pas un reniement. Pour cette partie l'élection de FB ou même un résultat significatif dudit est aussi une façon d'obliger le PS au travail nécessaire de clarification idéologique qu'il rechigne à faire. Le "grand parti démocrate" évoqué par Bayrou ne correspond pas à cette attente (selon les termes d'Eleassar, il vient augmenter le coût psychologique du changement d'intention de vote) et il ne me surprendrait pas que les courbes ascendantes des sondages bayrousiens subissent un sérieux hoquet dans les jours qui viennent.
Ah... et pourquoi Cincinnatus et Bonaparte? J'aurais pu écrire "Mendès-France ou De Gaulle", puisque ce sont ces deux figures que FB a évoquées comme exemples mais ça n'aurait pas été tout à fait juste pour le second. Ce matin, Olivier Duhamel comparait le statut futur du président de la République dans les projets des principaux candidats et en déduisait une critique de François Bayrou, accusé à la fois de césarisme et d'hypocrisie. Je crois la critique partiale. En particulier parce que le vice monarchique de l'exécutif dans nos institutions ne se résume pas au pouvoir du président de la république, il tient aussi à la structure courtisane de la répartition du pouvoir depuis le sommet de l'Etat vers les organes d'exécution (de ce point de vue voir parmi les soutiens de Ségolène Royal des personnes qui ont reçu leur pouvoir de leur proximité au chef de l'Etat et qui l'on conservé lorsque celui-ci a changé, ne me rassure pas quant à la probabilité d'une réforme de l'exercice du pouvoir si celle-ci était élue). Je ne sais pas si le projet de FB quant au statut du chef de l'Etat est un bon projet, faute d'avoir pris le temps de l'examiner et d'y réfléchir, mais ce qui me semble, c'est qu'un pouvoir fort pour le chef de l'exécutif ne se justifie que dans des circonstances particulières, d'urgence, et avec comme finalité le rétablissement d'une situation où ce pouvoir fort n'est pas souhaitable.
Tout cela ne fait pas un argument définitif contre un vote Bayrou de gauche. Cela devrait, si tout ce qui précède n'est pas trop délirant, rappeler aux électeurs de gauche qui voteraient Bayrou que leur vote n'est pas un vote d'adhésion aveugle mais un vote d'alliance et de ciconstance au service de finalités et de valeurs qui restent les mêmes.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Membres
Archives du blog
-
▼
2007
(205)
-
▼
mars
(20)
- La campagne déraille gare du Nord / N. Domenach
- Drapés dans le drapeau / Olivier Galland
- Lepenisation (rappel)
- C'est les trotskistes les plus forts!
- Le néo-capitalisme anti-libéral selon Marianne
- Jambon beurre ou tapas
- L'évaluation libérale d'Alain Madelin
- Ecole, mythe et mirage de la démocratisation, par ...
- Vladimir Poutine régule le web
- Police 1 - Prophète 0
- La bourde de Cavada
- "Gardez-moi de mes amis..."
- Noblesse d'Etat
- Sarkozy et les croisades
- L'audit des Nobel
- Bêtises et "effet femme"
- Jean-Marie Bockel sur l'effet Bayrou
- Cincinnatus ou Bonaparte
- Les bobos de Libé
- Internet et post-libéralisme
-
▼
mars
(20)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire