mardi 1 août 2006

Indignations et catastrophes

La discussion sur la politique d'immigration, entamée sur Reprises et archivée ici, a rebondi jeudi dernier en commentaires sur un billet de Strani: "l'Indignation en fête".
J'avais cette discussion en tête en prenant une note à l'écoute d'une récente émission où était interviewé le philosophe Jean-Pierre Dupuy. Ce qui m'est apparu alors, c'est la nécessité de penser la question de l'immigration selon un horizon global "catastrophique" (voir le diaporama sénégalais lié dans mon précédent billet). La liaison entre la question nationale de l'immigration et le déséquilibre global entre pays pauvres et pays riches est évidente et elle est faite partout mais ce que me montrait Dupuy, c'est qu'on ne pouvait s'arrêter là et qu'il faut penser la question de l'immigration en même temps que celle du développement, de la croissance et du risque climatique.
Par ailleurs, j'ai reçu ce matin d'Anne un projet d'article sur le sujet, proposé, semble-t-il, à Charlie-Hebdo par un professeur de philosophie. J'en parle ici parce qu'à la fin du papier l'auteur écrit:
L’étranger (substantif) c’est en réalité celui qu’il faut « étranger » (verbe) pour que la nécessité de sa présence (...) reste soumise à la discrétion et à l’arbitraire de ceux qui gèrent les populations comme des stocks de marchandises. Ceux dont nos sociétés ne supportent pas de reconnaître qu’elles en ont besoin doivent devenir clairement et rationnellement, à tout moment, susceptibles d’être exclus : reconduits, asservis, avilis, réduits de plus en plus à la misère, discriminés. En d’autres temps, ils furent réputés tuables. C’est, souterrainement, la même logique. Celle des camps de la mort des années 1942-45, celle du massacre des Algériens d’octobre 1961.
Ce que je trouve intéressant ici, c'est que la question des expulsions est pensée dans un cadre plus large: on y reconnaît l'allusion à la problématique de l'"immigration choisie" mais surtout on peut y reconnaître, il me semble, à un niveau plus large encore, la problématique heigeggerienne de la technique. La mise en parallèle, comme application de la même logique, des expulsions d'immigrants illégaux avec les camps de la mort nazis peut sembler contestable et une nième application de la loi de Godwin, je crois plutôt y reconnaître un écho de la célèbre déclaration de Heidegger en 1949. Le papier cité ici ne parle que de l'arraisonnement des hommes, pas de la nature, mais si l'on accepte d'y lire un écho de Heidegger, on arrive à l'horizon des catastrophes, selon une logique, cependant, qui n'est pas celle des catastrophes mais celle des crimes (les catastrophes ont, éventuellement, des responsables, les crimes ont des coupables).

On voit bien ce que la pensée heideggerienne a de pertinent à la convergence de nos catastrophes. Cette pertinence est telle, que pensée sous l'hypostase de la Technique, elle bouche l'horizon d'un projet politique de sortie de la dynamique des catastrophes, en amont d'une analyse critique et d'une généalogie des catastrophes. Ce qui est vrai de la pensée heideggerienne est vrai des pensées analogues qui, en hypostasiant le Mal (la Technique, le Libéralisme, etc.), ne laisse la place qu'à l'indignation ou au retrait.

Pour citer Bertrand Ogilvie (à qui j'espère que le récent limogeage de Marcel Bozonnet aura fait prendre conscience que le voir en fantassin de l'ordre moral était pour le moins une bévue - soit dit en passant):
"La jouissance de l’indignation remplace trop souvent la lutte quotidienne, plus obscure, moins gratifiante narcissiquement, moins médiatique, mais plus effective."
(l'Huma du 10 juin dernier)

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