Le mois dernier, c'est chez Farid, sous les Buttes-Chaumont, avec mon petit déjeuner, que j'ai lu le cahier spécial "Nice" dans Libération. M'a mis de mauvais poil. Une caricature. J'ai pensé à Joëlle Z., ses discussions en Inde avec des parisiens de rencontre et son exécration de Libération, journal "parisien", qu'elle accusait de calomnier Nice à la moindre occasion. Je défendais Libération alors mais lorsque j'ai lu ce numéro, je n'ai pu que lui donner raison.
Le bouquet y a été l'article final, atterrant, de Max Gallo, intitulé "Il lui a manqué 1789". J'ai failli faire un billet dessus mais de retour à Nice pas mal de choses m'ont détourné de bloguer, et puis je m'étais interdit de bloguer "négativement" (avec ça, tirer sur Libé ces temps-ci, c'est un peu tirer sur une ambulance). Mais différentes occasions depuis me rappellent cet article et ma réaction me reste non digérée. Alors, tant pis pour le retard, aujourd'hui je m'en décharge.
Il y aurait à dire du titre, il y aurait à dire du contenu de l'article qui réduit la population niçoise à son immigration italienne. Je me contente de la fin, qui résume tout. Gallo nissardise à sa façon:
Roba Capeù, O la miou bella Nizza, regina delli fior !
1. "Roba Capeù": c'est "Rauba-Capèu". Raubar est un mot pan-occitan pour dire voler, dérober, enlever (éventuellement une femme). La conservation de la diphtongue au (contre la réduction en o déjà entamée en latin vulgaire) est une des caractéristiques majeures de l'occitan par rapport aux autres langues romanes. La prononciation correcte est donc, écrite à la française, "ràouba-capéou" (avec accent sur le a et le é).
2. Les deux premiers vers de la chanson de Menica Rondelly sont défigurés de façon à faire ressembler le dialecte niçois à un patois italien: Nice, en niçois et chez Rondelly, se dit "Nissa", et la fleur n'y est pas il fiore mais "la flou" (la flór).
Voici les 2 vers tels que Rondelly les a écrits:
O la miéu bella Nissa
Regina de li flou
Le reste, avec la musique, ici.
(Je préfèrerais écrire: O la miéu bèla Niça / regina de li flors... mais il faudrait que je me sois acquitté de mon devoir de vacances avant!)
Bon, et alors... (je me rends compte qu'une des raisons qui m'ont fait différer de rédiger ce billet, c'est le désagréement d'avoir à occuper, une fois de plus la position du scrogneugneu pédant, de surcroît pas forcément compétent ou légitime à affirmer ce qu'il affirme...).
Max Gallo, niçois de naissance, historien, professeur pendant des années au lycée Masséna, élu local, qui comme écrivain a fait, dans ses débuts, de sa nissardité un argument de vente et qui continue d'intervenir ici ou là comme connaisseur de Nice, devrait n'être pas tout à fait ignorant des réalités historiques niçoises.
C'est lorsque j'ai quitté Nice, il y a trente ans, pour venir travailler à Paris, c'est dans les rayons de la Nationale, que j'ai appris que le dialecte niçois n'avait pas grand chose à voir avec l'italien, que c'était un dialecte provençal, un peu archaïsant, d'avoir été isolé, et de ce fait plus proche de l'occitan commun que le rhodanien. Jusque là, comme beaucoup à Nice de ceux qui ne connaissent du nissard que quelques mots et quelques bouts de phrases tout faits, je m'imaginais, comme Max Gallo apparemment, que le nissard était un patois italien.
C'est un phénomène étrange que cette méconnaissance, et sans doute y a-t-il là plus que de l'ignorance, il y a, me semble-t-il, un mécanisme actif même s'il est généralement involontaire. Je me souviens qu'au cours d'une des émissions nocturnes consacrées à Nice que France-Culture lui avait données à réaliser Marilyne Desbiolles, une autre autorité nationale en matière de nissardité, interviewait Zéphirin Castellon, siblaire de Belvédère, dans la vallée de la Vésubie, et il était question du dialecte. Zéphirin Castellon, qui n'est pas un intellectuel de profession, expliquait en quelques mots peu sûrs que le dialecte n'avait rien à voir avec l'italien. Et bien MD n'a pas voulu entendre ça et a réussi à faire dire au musicien paysan ce qu'elle avait envie d'entendre: à l'oreille, lui a-t-elle dit, on pourrait confondre le dialecte de cette vallée avec ceux, italiens, des vallées de l'autre côté. Et donc ils devaient bien être parents!
Il y a dans cette méconnaissance active de la haine de soi et du romantisme italophile mais il y a aussi quelque chose qui n'est pas spécifiquement niçois, quelque chose que la spécificité niçoise exacèrbe et aggrave. Je crois le 3 avril dernier, aux Matins de FC (malheureusement l'émission n'est plus écoutable, même en passant par les coulisses), Michel Rocard a dit en 2 ou 3 phrases simples cette réalité simple: que la question nationale en France se pose dans des conditions particulières et particulièrement crispées du fait qu'elle recouvre une hétérogénéité ethnique, pour l'essentiel une dualité ethnique fondatrice: la France a cessé d'être l'Ile-de-France à partir du moment où elle a annexé (conquis) le midi occitan.
Max Gallo plaide régulièrement pour la prise en compte des réalités nationales (ce matin encore à l'Esprit Public). Mais que peut être cette prise en compte lorsqu'elle reste aveugle aux réalités historiques et culturelles profondes, sinon le bon vieux nationalisme grossier?
Ils veulent que la France s'agenouille, baisse la tête, avoue, fasse repentance, reconnaisse ses crimes et, tondue, en robe de bure, se laisse couvrir d'insultes, de crachats, heureuse qu'on ne la « nique » qu'en chanson et qu'on ne la brûle que symboliquement chaque nuit!
Il est temps de redresser la tête, de hausser la voix, de monter sur le ring... et de boxer à la française!
(Présentation de Fier d'être Français sur le site officiel de Max Gallo.)
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