Une mise à jour / complément sur le
billet de l'autre jour.
Les justifications de Jean-Claude Milner à
Libération:
« Les Héritiers m'ont toujours fait penser à une anecdote que Sartre rapporte dans la Question juive. Un jeune Français "de souche" qui vient de rater l'agrégation s'étonne qu'un dénommé Bloch soit, lui, arrivé premier. Je pense que tout le fil de la pensée de Bourdieu sur l'école et le collège vise à ce que plus jamais un Bloch ne puisse arriver premier à l'agrégation. En dévaluant les concours méritocratiques, il signifie à tous les enfants d'origine étrangère les Juifs, les Italiens et les Espagnols hier, les Maghrébins aujourd'hui que l'école n'est pas la voie d'accès à la communauté française. On en a la preuve par les effets des réformes de l'école inspirées de sa pensée et dont on voit les résultats aujourd'hui pour les jeunes maghrébins.»
(...) «Ceux que Bourdieu appelait les héritiers sont précisément ceux qui n'ont aucun héritage et pour qui l'école était la seule voie d'accès possible à l'intégration. Je ne prête à Bourdieu aucune intention xénophobe, mais je pense que les positions qu'il a défendues ont des effets xénophobes», poursuit Milner. Mais alors pourquoi avoir parlé d'antisémitisme ? «Comme d'autres, Bourdieu a entretenu l'illusion d'un rapport particulier des Juifs avec le savoir élitiste. Mais ce qui est antisémite, c'est sa critique de ce savoir comme une voie d'accès dans la société française. Je ne crois pas qu'il ait de très bonnes intentions à l'égard des Juifs», répond-il, sans donner d'exemple à l'appui de cet énoncé. Avant d'ajouter : «Et puis, peut-être qu'il est bon de sortir les gens de leur sommeil dogmatique.»
Où il apparaît que, sans se rétracter, Milner se rend compte qu'il a pour le moins parlé un peu vite. Après l'émission, je me suis demandé qu'est-ce qui avait pu autoriser J.C. Milner à lâcher une telle énormité. Mes suppositions recoupaient en partie les explications citées ici mais j'en faisais d'autres que je ne livrerai pas ici parce que dans le climat de chasses aux sorcières et d'anathèmes symétriques où se déroule ces temps-ci le débat intellectuel français (tu parles d'un "sommeil dogmatique"!), je désespère d'être compris sur ce terrain.
(Illustration de ce climat déplorable, l'accusation qui a été faite à Alain Finkielkraut (cf. le
3e commentaire à mon billet précédent) d'avoir pris à son compte la thèse de J.-C. Milner. A l'écoute, rien ne l'indiquait (JCM introduisait explicitement sa thèse par un constat de désaccord) et dans son émission de samedi dernier (si je ne me trompe pas) AF a mis les points sur les i. Alain Finkielkraut a sa part de responsabilité dans cette dégradation du débat mais le traitement qui lui est fait, et pas seulement sur le web (voir l'émission de Nicolas Demorand, sur France-Inter, le 7 février dernier), est tel qu'on en vient à se censurer par crainte de se trouver associé à cette curée indigne.)
MàJ (24.02 - @ Skildy):
Réponse de la famille de Pierre Bourdieu à JC Milner (France-Culture)