mercredi 22 novembre 2006
lundi 20 novembre 2006
Libéralisme sauvage / Wild (Life) Liberalism
dimanche 19 novembre 2006
Habermas, la démocratie délibérative et les problèmes de l'interculturalisme au Québec
Ce matin, en suivant le développement de l'expérience Blogospherus (voir mon billet sur bibliothecaire), je suis aiguillé sur cet article du Devoir: "Habermas et la classe de Madame Lise" (extraits ici) qui confronte la théorie habermasienne aux réalités du multiculturalisme québecois, linguistique et scolaire en particulier.
L'image des antennes paraboliques est parlante, et montre que la réduction du problème à l'existence d'Internet manquerait le fond. Au-delà de la polémique que déclenchent des propos comme ceux de Jacques Godbout, la question se pose: à supposer que les antennes paraboliques, qui relieraient les immigrants à leurs communautés d'origine aux dépends de leur communauté d'accueil et qui ralentiraient voire empêcheraient l'assimilation linguisitique, soient bien une partie du problème, quelle solution? Interdire les antennes paraboliques? Endiguer la libre circulation de l'information?
Cette libre circulation déstabilise la constitution des espaces publics nationaux et il est compréhensible que les acteurs de ces espaces publics s'en inquiètent mais il ne faudrait pas appréhender ces phénomènes (de communication hors espaces publics constitués) seulement selon cette dimension négative. Ils constituent des espaces d'opinion, d'échange et de délibération qui s'ils ne sont pas à proprement parler des "espaces publics" (faute qu'à leurs territoires correspondent des territoires d'élaboration de décision politique légitime) ne sont pas non plus à proprement parler des espaces privés. On a noté comment Al-Jazeera est en train de constituer un opinion publique arabe plus structurée, plus potentiellement citoyenne que la problématique "rue arabe", nourrie de rumeurs et de médias sous contrôle reçus avec méfiance et ironie. Mais c'est une opinion publique sans espace public citoyen parce que transnationale et que jusqu'à présent l'exercice de la citoyenneté suppose un territoire national.
Les nouveaux vecteurs de communication tendent au village global même lorsqu'ils se pensent en référence à un espace public national (l'expérience Blogospherus a d'abord été pensée pour la blogosphère francophone or dès le 11e relais le virus était repris par un blogue espagnol, et à 4 sauts de là par un premier blogue anglophone - ce qui montre que même les bassins linguistiques ne sont pas étanches et que leurs modes de communication ne sont pas forcément sous le mode d'un "globish" impérial couvrant une collection inorganisée d'idiomes vernaculaires isolés) mais ce village global reste un village sans place publique, sans agora.
Antennes paraboliques à Ashgabat, au Turkménistan.
PS. Je suis arrivé à l'article du Devoir via un billet de Patrice Létourneau, prof. de philo au Cegep de Trois-Rivières. Une courte note passionnante qui suggère que la démocratie délibérative selon Habermas n'est, en raison des prérequis qu'elle exige, pas si différente que cela de ce qu'il appelle l'épistémocratie platonicienne. Si l'on prolongeait cette stimulante réflexion, on découvrirait sans doute que derrière toute organisation démocratique il y a quelque chose comme une épistémocratie, un système de sélection et de hiérarchisation des droits à la délibération. En fonctionnement normal, ce système paraît naturel. Des circonstances comme le débat sur le référendum européen de l'année dernière montrent qu'il est aujourd'hui, en France au moins, en crise, voire dépassé. Un des intérêts de l'observation de la blogosphère sous l'angle de l'autorité et de l'influence et d'expérience comme celle de Blogospherus, s'il tient ses promesses, c'est de pouvoir examiner comment se met en place un tel système de sélection et de hiérarchisation de l'accès à la délibération dans des conditions qui restent trop neuves pour sembler naturelles.
Un espace public peut surgir entre des gens qui ne proviennent pas d'une même «culture», mais peut-il également surgir entre des gens qui vivent dans des sphères médiatiques séparées?La correspondance avec les débats français saute aux yeux et il serait tentant d'y voir l'attestation de l'exportation du "modèle français d'intégration" en terres multiculturalistes, déjà constatée aux Pays-Bas ou dans l'Angleterre de Gordon Brown. Ce serait, il me semble, aller vite: nos débats (français), et, je suppose, une comparaison entre la situation française avec la québécoise, attesteraient assez que le modèle français n'est pas plus qu'un multiculturalisme angélique la solution. Et ce serait symétriquement tomber dans le travers dénoncé à la fin de l'article.
Le «dialogue» devient alors une sauce magique créant temporairement l'illusion du lien social. Ironiquement, les théories obsédées de délibération se transforment alors en arme rhétorique permettant... d'étouffer toute discussion.Ce qui m'a intéressé, c'est plutôt en quoi, par-delà l'opposition entre multiculturalisme et intégration républicaine, nos sociétés occidentales se trouvent confrontées aux mêmes questions, avant tout celle posée par Habermas lui-même de la définition de l'espace public à l'heure de la globalisation de la communication.
L'image des antennes paraboliques est parlante, et montre que la réduction du problème à l'existence d'Internet manquerait le fond. Au-delà de la polémique que déclenchent des propos comme ceux de Jacques Godbout, la question se pose: à supposer que les antennes paraboliques, qui relieraient les immigrants à leurs communautés d'origine aux dépends de leur communauté d'accueil et qui ralentiraient voire empêcheraient l'assimilation linguisitique, soient bien une partie du problème, quelle solution? Interdire les antennes paraboliques? Endiguer la libre circulation de l'information?
Cette libre circulation déstabilise la constitution des espaces publics nationaux et il est compréhensible que les acteurs de ces espaces publics s'en inquiètent mais il ne faudrait pas appréhender ces phénomènes (de communication hors espaces publics constitués) seulement selon cette dimension négative. Ils constituent des espaces d'opinion, d'échange et de délibération qui s'ils ne sont pas à proprement parler des "espaces publics" (faute qu'à leurs territoires correspondent des territoires d'élaboration de décision politique légitime) ne sont pas non plus à proprement parler des espaces privés. On a noté comment Al-Jazeera est en train de constituer un opinion publique arabe plus structurée, plus potentiellement citoyenne que la problématique "rue arabe", nourrie de rumeurs et de médias sous contrôle reçus avec méfiance et ironie. Mais c'est une opinion publique sans espace public citoyen parce que transnationale et que jusqu'à présent l'exercice de la citoyenneté suppose un territoire national.
Les nouveaux vecteurs de communication tendent au village global même lorsqu'ils se pensent en référence à un espace public national (l'expérience Blogospherus a d'abord été pensée pour la blogosphère francophone or dès le 11e relais le virus était repris par un blogue espagnol, et à 4 sauts de là par un premier blogue anglophone - ce qui montre que même les bassins linguistiques ne sont pas étanches et que leurs modes de communication ne sont pas forcément sous le mode d'un "globish" impérial couvrant une collection inorganisée d'idiomes vernaculaires isolés) mais ce village global reste un village sans place publique, sans agora.
Antennes paraboliques à Ashgabat, au Turkménistan.
PS. Je suis arrivé à l'article du Devoir via un billet de Patrice Létourneau, prof. de philo au Cegep de Trois-Rivières. Une courte note passionnante qui suggère que la démocratie délibérative selon Habermas n'est, en raison des prérequis qu'elle exige, pas si différente que cela de ce qu'il appelle l'épistémocratie platonicienne. Si l'on prolongeait cette stimulante réflexion, on découvrirait sans doute que derrière toute organisation démocratique il y a quelque chose comme une épistémocratie, un système de sélection et de hiérarchisation des droits à la délibération. En fonctionnement normal, ce système paraît naturel. Des circonstances comme le débat sur le référendum européen de l'année dernière montrent qu'il est aujourd'hui, en France au moins, en crise, voire dépassé. Un des intérêts de l'observation de la blogosphère sous l'angle de l'autorité et de l'influence et d'expérience comme celle de Blogospherus, s'il tient ses promesses, c'est de pouvoir examiner comment se met en place un tel système de sélection et de hiérarchisation de l'accès à la délibération dans des conditions qui restent trop neuves pour sembler naturelles.
dimanche 12 novembre 2006
Morale et moralisme, contrition et responsabilité
Jean Daniel, tout à l'heure chez Meddeb:
A la fin de la conversation, par un biais un peu curieux, Jean Daniel dit les rapports entre les arabes et l'Occident d'une manière particulièrement nette:
Juste avant Jean Daniel (c'est là le biais un peu curieux) reproche à ses interlocuteurs arabes de renvoyer "pour se défendre" à leur passé glorieux ("ils ne se demandent pas si on doit juger un peuple seulement sur un héritage ou bien sur la façon dont il le mérite dans le présent."). Et il compare les Arabes aux Grecs, arguant qu'il ne viendrait pas à l'idée d'excuser tel ou tel méfait des Grecs contemporains au nom de Platon ou d'Aristote. L'argument est spécieux pour au moins deux raisons: d'abord parce que le legs grec n'est pas méconnu ou contesté, tout au contraire, l'occidentalité et l'hellènité ont tendance à se confondre jusque chez le Saint Père et si la place de la pensée arabe dans notre généalogie était clairement reconnue, les intellectuels arabes n'auraient peut-être pas à la revendiquer, ensuite parce que les Grecs contemporains ont bien tiré avantage de leur passé glorieux: en particulier le soutien de l'Europe romantique à l'indépendance grecque devait bien quelque chose à cette reconnaissance.
"[Albert Camus] n'a pas du tout vécu la décolonisation comme la pénitence du colonisateur. Il ne voulait ni pénitence du colonisateur, ni vengeance du colonisé et il séparait, il prétendait séparer de cette manière la morale, c'est-à-dire réparation donnée au peuple musulman, du moralisme, qui préparait aussi des lendemains qui déchantent avec les convulsions possibles d'une indépendance."Toute la conversation, bien que décousue, est passionnante et bien loin des dualismes assénés ces jours-ci lorsqu'il s'agit de l'Islam.
A la fin de la conversation, par un biais un peu curieux, Jean Daniel dit les rapports entre les arabes et l'Occident d'une manière particulièrement nette:
"Averroès est toujours la référence que l'on vous sert [...] moi je trouve que celui qu'on nous oppose, c'est celui qui nous nourrit aujourd'hui, qu'en somme ceux qui emploient cet argument pour se justifier ne savent pas qu'ils ne s'opposent pas à nous, ils ont à rechercher leur passé. Là aussi il y a un joli mot de Berque qui dit "au fond, ce que les Arabes recherchent dans l'avenir, c'est qu'on leur restitue leur passé." C'est assez beau, il s'agit de savoir quel passé. Alors le passé d'Averroès, c'est l'Occident. Pourquoi vous opposez-vous à un Occident que vous avez inventé? Dit comme ça, il n'y a plus de choc de civilisations, nous vous devons ce que vous nous avez donné, nous vous devons, en somme, ce que vous avez fait de nous, ce que nous sommes."La formulation est plus brutale encore que celle que je citais d'après Jean Baubérot, et sans doute un peu excessive. Ce qui est curieux, c'est le cadre dans lequel Jean Daniel inscrit cette reconnaissance de filiation. Il la retourne à ses interlocuteurs arabes pour leur dénier le droit de faire d'Averroès une "justification". On devine que ces interlocuteurs appartiennent à une génération et à un milieu intellectuel (laïque ou occidentalisé et sans doute pas islamique: la pensée musulmane a, de son point de vue, "réfuté" Averroès).
Juste avant Jean Daniel (c'est là le biais un peu curieux) reproche à ses interlocuteurs arabes de renvoyer "pour se défendre" à leur passé glorieux ("ils ne se demandent pas si on doit juger un peuple seulement sur un héritage ou bien sur la façon dont il le mérite dans le présent."). Et il compare les Arabes aux Grecs, arguant qu'il ne viendrait pas à l'idée d'excuser tel ou tel méfait des Grecs contemporains au nom de Platon ou d'Aristote. L'argument est spécieux pour au moins deux raisons: d'abord parce que le legs grec n'est pas méconnu ou contesté, tout au contraire, l'occidentalité et l'hellènité ont tendance à se confondre jusque chez le Saint Père et si la place de la pensée arabe dans notre généalogie était clairement reconnue, les intellectuels arabes n'auraient peut-être pas à la revendiquer, ensuite parce que les Grecs contemporains ont bien tiré avantage de leur passé glorieux: en particulier le soutien de l'Europe romantique à l'indépendance grecque devait bien quelque chose à cette reconnaissance.
jeudi 9 novembre 2006
mercredi 1 novembre 2006
retour sur le référendum européen de 2005 et les médias
Le site relatio rend compte de la publication sur Notre Europe d'un rapport de Jacques Gerstlé, professeur au département de science politique de la Sorbonne, sur "L'impact des médias télévisés sur la campagne référendaire française de 2005".
Conclusion:
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Conclusion:
La question qui se pose donc, maintenant, est de comprendre l’échec de cette insistance sur un Oui archi-dominant dans l’information au cours de la campagne référendaire. En d’autres termes, comment expliquer l’échec de persuasion de la campagne en faveur du OUI.Conclusion résumée en termes moins techniques sur relatio:
Elle apparaît bien comme résultat de la convergence de deux facteurs, l’un situé en amont de la réception des messages de campagnes et qui est lié à la diversité des sources de campagne, l’autre étant situé en aval de la réception par l’individu et qui témoigne de sa résistance à la persuasion du OUI. En amont, se trouve la distinction entre communication contrôlée par l’acteur politique et information quotidienne contrôlée par les médias. A ce titre, on ne peut que pointer l’antagonisme entre les représentations dominantes de nature délégitimatrice à l’égard de la construction européenne donnée par l’information ordinaire et le message nécessairement euphorisant de la campagne pour le OUI. En amont encore, on pointe l’importance du cadrage national, qui est discriminant et relègue la communauté européenne
derrière les exigences de la communauté nationale. En amont enfin, il faut souligner combien l’information européenne ordinaire donne une représentation fragmentée de l’espace public européen entièrement soumis aux exigences des agendas politiques nationaux.
En aval de la réception, il faut retenir les inégalités de compétence politique comme étant de nature à filtrer le message européen. De même la dispersion des prédispositions des attitudes politiques ne peut-elle que gêner la diffusion du OUI, notamment quand l’environnement d’information est très « bruyant » et hétérogène et donc de nature à créer un espace polarisé pour parler comme Zaller. Enfin, le cumul des facteurs de l’amont et des facteurs de l’aval rend la victoire du NON plus intelligible en remettant en cause une conception linéaire de la persuasion comme dépendante de l’unique quantité d’information et de communication transmise (Gerstlé, 2006).
Se concentrant sur l’information télévisée, il montre notamment que l’influence des médias doit être appréhendée de façon générale, car elle se fait souvent sentir de façon indirecte. L’insistance sur certains objets, tout comme les représentations des acteurs, peuvent contribuer à influencer la perception qu’ont certains électeurs des enjeux du débat. Ainsi, dans le cas du référendum, l’importance accordée dans l’information aux questions sociales, notamment autour de la fameuse « directive Bolkestein » et les images délégitimatrices de la construction européenne véhiculées par les informations « ordinaires » ont alimenté les craintes d’une partie de l’électorat.On retrouve dans l'étude le graphique que j'avais utilisé dans un billet où je m'interrogeais sur la dynamique du non, complété par les chiffres de l'abstention qui semblent montrer que la montée du non a été en grande partie une mobilisation des abstentionnistes.
Cette étude très fouillée a le grand mérite de nous mettre en garde contre les lectures simplistes selon laquelle la quantité d’information soumise est le critère décisif pour apprécier l’impact des médias dans un domaine.
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